CTV : Vous venez d’être élu à la présidence de l’UCTL
Antonio BAÑUELOS: En effet, j’exerce cette fonction depuis 1 mois et demi et mon mandat court pour une durée de 4 ans. L’UCTL rassemble approximativement 350 ganaderías en Espagne, France et Portugal. Représenter 350 élevages, chacun avec ses priorités, quelle tâche ! Surtout en ce moment !
CTV : Comment appréhendez-vous cette deuxième partie de temporada ? On dirait que tout doucement les affaires reprennent !
Antonio BAÑUELOS : Depuis que j’ai pris mes fonctions, nous avons eu une activité intensive. Nous avons entrepris des démarches auprès des ministres de la culture et de l’agriculture, mais aussi auprès des présidents des communautés autonomes de Extremadura, Castilla y Leon, Navarra, Murcia, Madrid, Castilla la Mancha ainsi que Sa Majesté le Roi qui est très préoccupé par la situation de la tauromachie comme patrimoine national et de la dehesa pour ce qu’elle représente en faveur de la biosphère et de l’écosystème espagnol. Tout se passerait bien si ce n’était les vents contraires du point de vue des politiques.
Par ailleurs, on a beaucoup d’annulations de Fêtes votives à cause de ce virus et ces annulations entraînent irrémédiablement l’annulation des spectacles taurins du fait des contraintes liées à l’organisation (assistance limitée, conditions de sécurité renforcées, etc…). Toutefois, on commence à voir le bout du tunnel avec des festejos télévisés sur des chaînes régionales et autres (movistar). Ce sont des festejos « pequeños » avec 1 ou 2 toreros, ou des novilladas sans picadors. Pour ce qui est des festejos populares de Castellón, Valencia, les mesures de sécurité empêchent toute organisation pour le moment. Il est trop difficile de sécuriser ces lieux ouverts.
En ce moment, on a peu ou prou 7 000 toros en stock au campo en Espagne qui ne trouvent pas preneur. C’est un énorme problème pour les ganaderos, quel que soit leur modèle économique. On se retrouve donc avec des toros qui partent à l’abattoir pour 400-500 € alors que leur coût d’élevage est de 4 000-5 000 €. Ça va mal, c’est démoralisant ! Toutes les plazas de 1ère et de 2ème catégorie annulent leur ferias. Il y a bien quelques corridas isolées par-ci par-là (Malaga, Huelva,…) mais cela ne fait pas le compte. Personnellement, j’avais 10 corridas prévues, j’en suis à 9 annulées…Et c’est pareil pour tous les ganaderos.
CTV : Quelle est la position de l’UCTL sur la possibilité de lâcher des toros de plus de 6 ans dans les calles et festejos populares?
Antonio BAÑUELOS : L’UCTL s’est prononcée contre cette possibilité car bien que cela puisse rendre service à tel ou tel ganadero, le stock est tellement énorme que cela ne ferait que reculer et empirer l’échéance. Dans notre programme (approuvé par nos membres), la stratégie est de réduire la cabaña brava de 30/35 % afin d’arriver à une situation où l’offre s’adapte à la demande. On table donc sur 5 000 toros par ans. Or, si l’an prochain, on rajoute tous ceux de cette année, on arrive au chiffre de 12 000 toros en 2021 ! C’est suicidaire ! Nous avons donc une problématique bien délicate à gérer. Et bien sûr ceci n’est qu’une recommandation. Nous respectons totalement l’initiative de chacun. Il n’empêche que seulement en arrêtant de produire chaque année plus de toros que n’en absorbe la temporada, nous assainirons cette situation.
Pour nous cette année 2020 est une année de guerre. Jamais dans l’histoire on n’avait vu cela, ni pour cause d’épidémie, ni pour cause de guerre, ni la grippe ne nous avait amené à une telle situation d’arrêt total de l’activité pour toute une saison ! On n’était pas préparés à ça ! Certes, on peut voir d’anciennes photos en noir et blanc de gens au campo avec des masques ou même en 37-38 à cause de la guerre, une situation très dure, mais jamais une telle catastrophe ! Il ne faut pas oublier que les toros de lidia sont un produit périssable (seuil des 6 ans) et qui consomme tous les jours. On ne peut pas les emmagasiner et ne pas les entretenir, c’est perdre tous les jours. Nous sortons d’un phénomène bien particulier : bien des ganaderos avaient des espoirs pour cette deuxième partie de temporada, le printemps a été pluvieux et il y a eu beaucoup d’herbe. Cela ne gênait donc pas trop d’attendre et de voir venir. Mais maintenant, tout cela ne vas pas aller au remate et va finir au matadero. On voit bien des toreros acheter des toros pour leur propre élevage, des tentaderos, des toros a puerta cerrada, mais rien de bien important.
Pour nous cette année 2020 est une année de guerre. Jamais dans l’histoire on n’avait vu cela, ni pour cause d’épidémie, ni pour cause de guerre, ni la grippe ne nous avait amené à une telle situation d’arrêt total de l’activité pour toute une saison ! On n’était pas préparés à ça !
CTV : Cette stratégie de réduction des camadas passe par une réduction du nombre vaches ?
Antonio BAÑUELOS : Probablement. Mais on ne peut rien avancer avant la fin de l’année où l’on y verra plus clair. En tout cas, c’est ce que nous avons conseillé.
CTV : Vous vous exposez là à une non-solidarité (au cavalier seul) de celui qui voudra profiter des sacrifices des autres !
Antonio BAÑUELOS : Absolument, mais chacun fera en son âme et conscience. Aujourd’hui on n’a aucun chiffre, on verra bien. Quoi qu’il en soit, les grandes ganaderías avec 300-500 vaches vont difficilement conserver leur cheptel en l’état. Cela va devenir trop dur. 150 vaches, c’est 500 têtes dans la ganadería, 500 vaches, c’est plus de 1 500 têtes . A ce niveau là, il faut réfléchir ! Chaque toro de saca représente 9 têtes de plus à nourrir…
CTV : La priorité, c’est de sortir les cinqueños ?
Antonio BAÑUELOS : Bien sûr, mais dans les rares festejos organisés et qui sont retransmis, on voit surtout des catreños lidiés, demandés par les toreros pour ces plazas de 3ème catégorie. Les cinqueños sont plutôt lidiés à puertas cerradas dans les élevages. Il ne faut pas oublier que pendant tout ce temps, le suivi sanitaire doit être maintenu pour chaque animal. Mais il faut aussi avoir sous la main quelques toros rematados, on ne sait jamais, donc c’est du pienso, des dépenses…La vie du ganadero est difficile, très difficile ! Beaucoup en ont eu par dessus la tête et ont pris la décision de trancher dans le vif en envoyant toute la camada à l’abattoir. Les centres qui achètent et revendent durant toute la temporada ont vidé leurs corrales.. Bien sûr avec tout cela le prix d’un toro plonge.
CTV : De quelles aides peut se prévaloir la ganadería brava ?
Antonio BAÑUELOS : La tauromachie dépend en Espagne du ministère de la culture qui a accordé des aides de l’ordre de 200 millions d’euros aux arts tels que l’opéra, le ballet, la musique, le théâtre ou encore le cinéma. La tauromachie, deuxième spectacle le plus populaire d’Espagne derrière le football, plus gros pourvoyeur de TVA du pays du secteur culturel (240 000 000 €), a reçu du ministère de la culture 63 000€…. Après avoir remué ciel et terre, nous avons obtenu du ministre de la culture qu’il nous aiderait à faciliter l’organisation de festejos avec une assistance allant jusqu’à 75 % (et ils l’ont fait). Nous recevons également des aides des communautés autonomes, en Navarra 90 € par tête, en Castilla y Leon un budget de 1 100 000 € est partagé à raison de 7 000€ par ganaderías (quelle que soit la taille de celles-ci !), en Castilla y La Mancha, l’aide se matérialise par l’exposition télévisuelle, de même qu’en Andalousie (au travers de Canal Sur). L’Andalousie est la région qui fait le plus pour aider la tauromachie.
CTV : Les figuras, les personnalités les plus emblématiques du monde de la tauromachie sont-elles montées au créneau pour vous aider ? Se sont-elles exposées ?
Antonio BAÑUELOS : Pour aider les éleveurs, personne ne se mouille ! Pour la tauromachie, bien sûr que oui. Cayetano a été très réactif ainsi que El Fundi, président de l’association des toreros. . Ils sont impliqués dans un projet avec Movistar Toros pour organiser 20 à 30 corridas dans des plazas de 2ème et 3ème catégorie pour maintenir la flamme de l’afición. Tous les toreros sont investis.
CTV : Vu de France, les figuras semblent bien timides
Antonio BAÑUELOS : L’apport le plus important vient d’Enrique Ponce qui torée 5 fois. Il va toréer jusque dans des pueblos. Des corridas s’organisent grâce à son investissement ! Castella aussi est présent. Mais il n’y a presque pas de corridas ! Dans bien des lieux , les maires n’ont peur que d’une chose : qu’un cluster se développe à cause d’une corrida organisée chez eux. Dans ce cas, tout est bloqué jusqu’à la fin de la quarantaine ! Et c’est au maire que l’on fera les reproches, alors que cela peut arriver à partir de n’importe quelle terrasse de café ou autre… Bien plus encore, on impose une distanciation de 9 m² dans les plazas alors qu’au même moment les avions décollent pleins à craquer …
CTV : Que se passe-t-il si la situation ne s’améliore pas d’ici mars 2021 ?
Antonio BAÑUELOS : Là, ce sera l’effet domino pour l’économie des toros. 60 000 emplois directs et pérennes seront en danger. 120 000 emplois de plus en cours de temporada, 1,5 milliards d’euros sur l’économie directe de la ganadería , 4 milliards de chiffre d’affaire dans les pueblos et les festejos populares…. des répercussion en chaîne. Heureusement l’Europe nous aide avec la PAC, notre seul revenu depuis octobre 2019 et jusqu’au printemps 2021. En fin de compte, quoi qu’on en dise, seul un vaccin, un arrêt de l’épidémie nous sortira de l’ornière. On y verra plus clair en octobre. Mais il ne faut pas oublier que nos interlocuteurs au ministère sont sous la coupe du groupe PODEMOS qui ne veut qu’une chose : arrêter toute aide à la tauromachie alors que les autres secteurs culturels bénéficient d’une aide. Nous en sommes rendus à envisager une action au pénal pour qu’enfin on nous respecte. Tous les artistes touchent leurs prestations plus un complément COVID 19, à l’exception des toreros et subalternes qui ne peuvent prétendre au supplément, n’étant pas artistes selon Podemos….Il en faut du courage !!!
Unión de Criadores de Toros de Lidia
Association européenne professionnelle d’élevage de taureau de combat à but non lucratif.
Fondée en 1905, elle représente 347 ganaderías présentes en Espagne, France et Portugal, soit 54.4 % du cheptel de Toros de combat qui est enregistrée au Ministère de l’Agriculture, Pêche, Alimentation et Environnement (MAPAMA).
Site internet : torosbravos.es